De quelle perte ou de quel drame souhaitez-vous nous faire part ?

La naissance de ma fille a eu pour effet de dresser devant moi un miroir : pour quoi avais-je vécu toutes ces années ? C'était vraiment ce que je voulais ? Qu'est-ce que je voulais, au juste ? Qui étais-je, une fois dépouillé de mon manteau académique ? Que restait-il dont je pouvais être fier ?

Comment avez-vous fait face à cette épreuve ? Qu'est-ce que ça a signifié pour vous ?

Mon histoire est celle de la perte d'identité, d'une pièce déterminante - du moins, c'est ce que je pensais - de mon puzzle. Dès l'âge de 16 ans, la Russie m'a fasciné. Je m'étais déjà inscrit aux cours du soir de russe à l'époque. Étudier la slavistique à l'université était pour moi une évidence. Après ma dernière année, j'ai reçu une bourse d'études d'un an dans la ville mythique de Saint-Pétersbourg. J'ai également obtenu une bourse pour écrire un doctorat. Et quatre ans plus tard, sans trop réfléchir, je suis passé au statut de chercheur postdoctoral. Petit à petit, mon identité a été de plus en plus déterminée par ce que l'on attendait de moi dans la course aux études : j'ai mesuré ma valeur au nombre de publications, de congrès, de séminaires, de séjours dans des universités étrangères, etc. Plus je les cumulais, plus mon estime de moi augmentait.

Rétrospectivement, ça peut se lire comme la chronique d'une implosion annoncée. Mon niveau de bonheur était déterminé par quelque chose de finalement intangible : une fois un certain résultat atteint, le sentiment de réussite s'estompe immédiatement à la simple pensée que ce n'est toujours pas suffisant. Sans y penser, j'ai suivi les étapes habituelles d'une carrière universitaire et je m'y suis complètement identifié. Jusqu'à ce que, soudainement, l'étape suivante ne se présente pas.

Comment allez-vous aujourd'hui ?

"L'apprentissage réside dans l'extension." J'ai entendu un ami prononcer cette phrase il y a quelques années, et depuis, elle n'a plus quitté mon esprit. Elle exprime avec audace la façon dont on peut grandir - ou peut-être même seulement grandir - à partir d'expériences qui vous font quitter votre zone de confort. Un choc peut vous faire tomber de votre chaise, vous faire tourner en rond et vous ébranler ; une fois apaisé, vous pouvez constater que les différentes pièces ont été placées dans un ordre différent. C'est toujours vous, mais dans un ordre légèrement différent. Le puzzle est reconstitué, mais légèrement différemment.

06 Nel G Sun

Y a-t-il des choses liées à cet événement qui vous ont aidé ?

Une ruine peut être une terre fertile. Après plusieurs années de questionnements et de doutes, mon puzzle s'est reconstitué. Dans un ordre différent, mais c'était toujours moi.

- La vie, c'est comme des poupées russes (Matrëshka) : il existe différentes versions de vous-même, il suffit d'oser regarder ce qui se trouve sous votre poupée actuelle. -

Un moi plus conscient de la vie, qui a découvert une identité ou une poupée plus profonde en lui. Je suis curieux de découvrir les poupées qui se cachent encore en-dessous.

Quelles femmes vous inspirent ?

J'admire différentes femmes : Ada Lovelace, Marie Curie, Michelle Obama, Rosa Parks, Amanda Gorman, ...